Par Gérard Touaty

 

C’est sur une contradiction que s’ouvre la parachath Chémini. Chémini signifie, en effet, « huitième » et comme nous dira Rachi « C’était le huitième jour de l’inauguration du Temple du désert ». Or, s’étonne le Kéli yakar (1), l’inauguration de ce Temple ne dura que sept jours ! C’est qu’en fait, répond-il, le chiffre sept est profane alors que huit évoque la sainteté. C’est pourquoi, ce n’est que le huitième jour que D.ieu se manifesta dans ce Temple. Il existe donc une différence radicale entre sept et huit. Pourtant, huit n’est-il pas la continuité de sept, nous indiquant par là que ces deux chiffres sont liés ?

 

Ce parallèle entre monde profane et monde de la sainteté se retrouve dans la distinction que nos Maîtres font entre notre monde et celui de l’époque messianique. Il est rapporté dans le Tanya (2) que les dévoilements de l’ère messianique dépendent de nos actions durant le temps de l’exil. Et là aussi, surgit une question similaire à notre première question : comment des actions humaines, par nature limitées, peuvent-elles engendrer un monde au dévoilement infini ?

 

Se dépasser

D’un point de vue logique, il existe un fossé immense, non quantifiable entre l’exil et la délivrance et il est évident, de ce fait, que l’humain ne peut engendrer le divin. Il s’agit ici d’autre chose : ce ne sont pas nos actions qui déclenchent la délivrance mais la qualité de nos actions. Expliquons-nous : l’exil est un temps durant lequel la présence divine n’est pas perceptible. Cette absence oblige le Juif à ne vivre et ne penser que sur un registre « foi » : comprendre D.ieu ou le monde sont des données (logiquement) impossibles. Seule la foi lui permet de vivre ! Nous avons ici une notion extraordinaire. Si le Juif vit son judaïsme sur un mode (raisonnable) aux paramètres humains, il n’existe effectivement aucun rapport entre l’exil et la délivrance. Mais s’il se dépasse par la foi et s’investit dans un attachement total au Maitre du monde, il met déjà un pied dans le monde (divin) de la délivrance.

Une éducation à la foi

Cette explication rejoint une donnée de l’histoire juive tout à fait singulière. Quand on jette un rapide coup d’œil sur les deux derniers millénaires de notre histoire, une contradiction impressionnante retient notre attention : comment comprendre la volonté de vivre du peuple juif malgré les persécutions, l’exil, et la pauvreté matérielle ? En elle-même cette situation (quasi surhumaine) est incompréhensible sous l’angle de la logique. Sous l’éclairage d’une analyse humaine, cela nous dépasse complètement mais si l’on veut la comprendre dans une perspective divine, il en va tout autrement parce que l’exil est une éducation à la foi qui prépare la délivrance. Durant deux mille ans le peuple juif affronte de nombreuses difficultés pour renforcer sa foi en D.ieu et mériter le prodigieux dévoilement de la délivrance messianique. Sur le même modèle que l’Egypte : l’esclavage des Enfants d’Israël, les contraignit à révéler du plus profond de leur âme le potentiel de foi que les patriarches leur avaient légué. Il nous est alors possible de comprendre les profondes paroles de Rabbi Yaakov de Radizmine qui demandait comment concilier l’amour de D.ieu pour Son peuple et les souffrances que ce dernier a connues durant l’exil. Sa réponse résume à elle seule notre réflexion : celui qui a la foi n’a pas de question mais celui qui n’a pas la foi n’a pas de réponse…

 

Notes

(1) Rabbi Shlomo Ephraïm de Luntschitz (1550-1619). L’un des plus importants commentateurs de la Bible.
(2) L’un des ouvrages fondamentaux du Hassidisme, écrit par Rabbi Schnéour Zalmane de Liady