Cette histoire fut contée par le Rabbi le jour de Sim’hat Torah 5735.

Certains ont pu s’étonner. Comment et pourquoi s’efforcer de trouver une justification à la conduite de cette personne? C’est pourtant la Michnah qui enseigne « Juge chacun à l’aune de ses mérites ». La Torah nous ordonne de chercher le mérite de tout juif. Non pas d’inventer un mérite, mais de révéler un mérite qui préexiste à ce jugement, qui peut être à l’origine de la chose jugée. Le fait de l’énoncer expressément permet de révéler la vérité de la chose.

A l’image de ce qui se passe avec le « lachon hara », le colportage, dont nos Sages enseignent qu’elle tue trois personnes. Celui qui le dit, celui qui l’entend et celui dont on parle. En quoi celui dont on parle est-il responsable, au point d’être atteint par la médisance? Il est clair que le « lachon hara » ce n’est pas un mensonge, car cela serait appelé médisance. Il s’agit de raconter, colporter la vérité, et pourtant celui dont on jase peut être atteint par ce colportage. L’explication est qu’il doit recevoir une punition, mais qu’elle pourrait rester virtuelle, latente, et ne jamais se réaliser. Mais celui qui attise le feu fait ressortir cette faute et peut amener la concrétisation de sa punition.

De la même façon, l’évocation du mérite d’un homme en fait ressortir de l’oubli les mérites et peut hâter la récompense qui leur est liée.

C’est à ce propos que je vais vous conter cette histoire (…)
Il avait été un homme tout à fait normal, juif pratiquant, érudit, craignant D.ieu, prompt à donner la Tsédakah et recherchant la pratique des Mitsvot. Jusqu’au jour où il perdit la raison. Criant, s’agitant, cassant tout. Si sa vie n’était plus une vie, celle de sa famille ne l’était pas plus.

Tout son entourage se mobilisa autour de lui et de sa famille pour alléger leurs peines quotidiennes. On consulta les meilleurs médecins, et on demanda des prières aux Rabbins. De fait, tous espéraient que cette folie subite disparaîtrait comme elle était venue, sans raison, ou qu’elle s’atténuerait. Vain espoir.
Il n’était pas question de le livrer à l’asile, où il serait privé de vie juive, enfermé dans un cachot ou avec de dangereux débiles mentaux.

On leur conseilla finalement de se rendre chez l’auteur du Tanya,  Rabbi Shneor Zalman, à Liady, distante de quelques heures de calèche.

Sa femme et ses fils réussirent à le maintenir calme durant ce trajet, et ils furent rapidement introduits dans la maison du Rabbi.

L’homme s’assit face au Rabbi Shneor Zalman, émettant de temps en temps un grognement et des gestes des mains. Le Rabbi jeta un coup d’œil et comprit de quoi il s’agissait, prêt à proposer une solution.

« Asseyez-vous tous, faites attention à lui, je vais vous conter une histoire ».
« Une histoire? » se dirent ils. Serions-nous venus pour entendre des histoires d’un rabbin ‘hassidique? Mais ils comprirent vite qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de tendre l’oreille.

« Le Talmud, dans le traité Guittin 57b raconte que quand Nabuchodonosor détruisit le Premier Temple, un de ses généraux remarqua dans la Cour une flaque de sang bouillonnant. Lorsqu’il demanda ce que c’était, on lui dit qu’il s’agissait du sang d’un Prophète nommé Zacharie (il ne s’agit pas du Prophète Zacharie mentionné dans le Tanakh, qui lui revint de l’exil de Babel).

Il avait été assassiné à cet endroit là, et depuis son sang n’avait pas séché. On explique couramment que ce Prophète avait commencé à énumérer durement tous les péchés des juifs, les avertissant de la punition divine en des termes très sévères, au point que les présents l’avaient lapidé avec furie.

De fait l’histoire est un peu différente, et nécessite d’être vue sous un éclairage positif. Rabbi Shneor Zalman marqua une pause, se tournant vers le malade puis vers sa famille pour s’assurer que tous écoutaient.

La vérité est que ces hommes qui ont lapidé Zacharie étaient des Justes, des Tsaddikim, des hommes droits, peut être les seuls de cette génération à ne pas avoir fauté. Ils œuvraient pour que leurs frères juifs cessent de fauter; se repentent et reviennent à D.ieu.

Dès que Zacharie commença sa harangue, ils comprirent ce qui allaient suivre: une prophétie sur la destruction du Temple à cause des fautes des Juifs de la génération, l’exil à Babel. Ils savaient qu’une fois la prophétie dite, le sort était scellé de façon irréversible.

Ils décidèrent d’interrompre Zacharie avant que les mots décisifs ne soient prononcés. Ils savaient ce que signifiait leur décision et leur geste: la mort dans ce monde pour meurtre, et dans le monde futur dont ils seraient écartés. Mais décidèrent de faire don de leur propre destin par amour du Peuple Juif, pour retarder un tant soit peu l’échéance, et donner à leurs frères quelques jours de plus pour se repentir. La seule façon de le faire était de tuer Zacharie.

Mais, pourriez-vous dire, pourquoi le Prophète lui-même n’aurait-il pas refusé lui-même de dire cette prophétie? Il savait bien qu’une fois les mots dits, la Parole Divine ne pouvait que se réaliser. Il n’avait qu’à se taire! S’il est vrai qu’un Prophète qui ne livre pas sa Prophétie est passible de mort, pourquoi n’a-t-il pas lui-même fait acte de sacrifice et refusé de parler? Zacharie ne manquait certainement pas d’amour pour ses frères juifs pour le faire.
La réponse est qu’un vrai Prophète n’a pas d’égo. Il n’est que le canal par lequel D.ieu s’exprime. Lorsque D.ieu mit ces paroles dans sa bouche, il n’avait pas possibilité de faire autrement, tout son être n’étant que d’être le véhicule de la Parole Divine.

Mais ceux qui l’ont tué avait le libre arbitre, et l’ont utilisé dans une tentative de sauver le Peuple Juif de la tragédie et de l’exil.

C’est à ce moment que le « malade » se mit à trembler quelques instants, ferma les yeux, puis les ouvrit en souriant d’un air soulagé. Il respirait différemment. Il était guéri!

Rabbi Shneor Zalman jeta un coup d’œil sur lui, puis expliqua à la famille étonnée:

Les âmes de ces Justes étaient en souffrance depuis près de deux mille cinq ans. Elles ne pouvaient entrer au Gan Eden à cause de ce meurtre, mais les portes du Guehinom ne s’ouvraient pas plus du fait de la pureté de leur intention. Elles cherchaient un « Tikoun », une réparation. Elles s’incrustèrent dans le corps de votre père, dans l’espoir qu’il serait amené à quelqu’un qui saurait plaider pour la justesse de leur intention lorsqu’ils péchèrent, et les délivrer ainsi de cette longue errance entre les portes du Gan Eden et les portes du Guehinom. Et c’est pour cela que vous êtes venus me voir, conclut Rabbi Shneor Zalman.

En énonçant un mérite de ceux qui ont tué Zacharie, j’ai opéré un « Tikoun » de leurs âmes, et eux autant que votre père ont été sauvés. »

D’après une histoire contée par le Rabbi de Loubavitch à Sim’hat Torah 5735-1974.