Dans son quatrième numéro, le  magazine Hanochos a interviewé le  Rav Yossef Its’hak Kalmenson, Rosh Yechiva de Beit Dovid Shlomo à New Haven, dans le Connecticut.

Rav Yossef Its’hak Kalmenson, vous êtes Roch Yechiva de la Yechiva Loubavitch de New Haven. Comment viviez vous ce qui se passait chez le Rabbi lorsque vous étiez jeune élève de la Yechiva de Brunoy ?

Bien que nous n’ayons jamais vu le Rabbi, nous étions très au courant de ce qui se passait au 770. Après chaque semaine de Farbrenguen, nous recevions une cassette qui arrivait deux semaines après le Farbrenguen. Je me souviens que lorsque la bande arrivait, il y avait un grand tumulte, toute la Yechiva se réunissait et nous écoutions le Farbrenguen, puis ensuite nous faisions un Farbrenguen.

N’y avait-il pas, a cette époque, de retransmission en direct des Farbrenguen du Rabbi ?

Oui, mais cela n’a commencé que plus tard. Le premier Farbrenguen du Youd Chevat 5730-1970 a été écouté pour la première fois par téléphone. C’était la première fois qu’il y avait une connexion de liaison avec Erets Israel. À ce stade, la France n’ayant pas de lien propre, nous nous sommes tous réunis dans le dortoir de la Yechiva au deuxième étage, où il y avait un téléphone. Nous avons appelé Erets Israel et avons écouté les Farbrenguen grâce à leur branchement! C’était en plein milieu de la nuit en France.

Nous n’avions pas de téléphone à haut-parleur, alors un Ba’hour écoutait sur le combiné et répétait à tout le monde ce que le Rabbi disait. Ce fut une expérience incroyable, car c’était la première fois que nous participions au Farbrenguen en même temps que cela se passait chez le Rabbi.

Après le Farbrenguen, nous avons tous commencé à danser avec enthousiasme. Le Rav Aharon Yossef Belintzky dormait au rez-de-chaussée de la Yechiva. Alors que nous dansions, il est soudainement monté en courant dans les escaliers, toujours en train de mettre ses vêtements, et a crié: « Est-ce que Machia’h est venu ?! » en tant que Hassid, se réveillant au milieu de la nuit au son de la danse signifiait pour lui que Machia’h devait être venu.

Quand la France a eu ses propres connexions téléphoniques?

La première fois que la France a été connectée directement au Farbrenguen, c’était Pourim 5731-1971. Tous les Anash se sont rassemblés dans la Shul à 3 heures du matin pour pouvoir entendre le Farbrenguen. Vous pouvez imaginer la scène. Et c’est ce qui se passait chaque fois qu’il y avait un Farbrenguen, jusqu’à ce que nous ayons le mérite de nous rendre chez le Rabbi.

À quand remonte la première fois que vous avez vu le Rabbi?

La première fois que je suis venu chez le Rabbi était Tichri 5731. A cette époque, j’étais âgé de 15 ans. Le Machpia Rav Nissan Nemanov avait préféré que les Ba’hourim plus âgés voyagent. Ils seraient donc mieux préparés et feraient plus de Ha’hanot avant de se rendre chez le Rabbi. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre nous n’étaient jamais allés chez le Rabbi avant l’âge de 15 ans.

Chaque année, en se rendant chez le Rabbi pour Tichri, le Rav Mendel Futerfas faisait quelques escales en Europe. Quand il s’est arrêté en France, il est venu à Brunoy et il s’est assis pour faire un Farbrenguen avec nous. Il nous a dit que nous devions aller chez le Rabbi pour Tichri. Je me souviens de son expression quand il a entendu dire que beaucoup d’entre nous n’étaient encore jamais allés chez le Rabbi. Il s’est exclamé: « Des Ba’hourim de 14, 15 ans ne sont jamais allés chez le Rabbi ? Vous devez y aller immédiatement ».

C’était un peu après ma Bar Mitzvah et j’avais économisé de l’argent de poche, donc j’ai pu acheter un billet d’avion. À l’époque, il n’était pas si simple de prendre l’avion pour New York. Je me suis donc rendu à Londres, avec d’autres Ba’hourim de Brunoy, à destination d’un vol charter à destination de New York, rempli de Hassidim.

De quelle façon les Ba’hourm se préparaient-ils avant leur voyage? 

Le Rav Nissan s’assurait que nous faisions la bonne préparation. Il nous disait que nous devions travailler sur nos pensées, paroles et actions avant de nous rendre chez le Rabbi. Je me rappelle en particulier qu’il nous avait recommandé de mieux prier chaque jour, de réciter le Chema Israël avec plus de Kavana, et d’apprendre des Maamarim.

Quand vous êtes venu chez le Rabbi, êtes-vous rentré en Yehidout ?

Oui. À ce moment-là, tous les invités venus pour Tichri rentraient en Ye’hidout deux fois au cours de leur visite. Une au début, peu de temps après leur arrivée et une seconde fois juste avant leur départ.

Habituellement, dans la première Ye’hidout, on posait toutes nos questions, tandis que la seconde Ye’hidout était plus courte; plus un adieu.

Quand je suis rentré dans le bureau du Rabbi, j’ai senti très fort à quel point le Rabbi était comme un père. Dans la pièce il y avait juste le Rabbi et moi, et c’était un sentiment très fort. Le Rabbi a lu la lettre que j’avais écriet, puis a répondu à chacune de mes questions, une par une. À la fin, le Rabbi m’a donné des bénédictions pour mon apprentissage et ma Yirat Chamaim.

Y a-t-il quelque chose que le Rabbi vous a dit pendant la Ye’hidout que vous pouvez partager avec nous?

Une des choses que j’avais demandé au Rabbi lors de ma première Ye’hidout était que, très souvent, si je prenais une certaine décision, je la gardais pendant un certain temps mais ensuite elle disparaissait. J’ai demandé au Rabbi ce que je devrais faire pour m’assurer de respecter mes engagements.

Le Rabbi m’a dit qu’à l’avenir, lorsque je prendrais un engagement, je devrais en discuter avec un ami. Cela m’aiderait à le respecter, car il y aurait quelqu’un d’autre qui en aurait connaissance.

Est-ce que quelque chose qui se démarque de ce moment chez le Rabbi?

En général, tout ce Tichri chez le Rabbi était incroyable. C’était un tout nouveau monde pour moi et tout le mois a passé comme un rêve.  Le Rabbi est sorti pour beaucoup de Tefilot et il y avait beaucoup de Farbrenguen. Il y avait Vav Tichri, Soukkot et Sim’hat Torah avec les Hakafot, la Tahalou’ha et biens d’autres moment extraordinaires. Cette année-là, Chabbat Berechit suivait immédiatement Sim’hat Torah. Depuis Erev Yom Tov jusqu’à 4 heures du matin  Motsaei Chabbat Berechit, c’était un grand tourbillon d’événements.

Quand êtes-vous allé chez le Rabbi après cette première fois ?

Je suis venu pour Youd Aleph Nissan 5732, qui fêtait les 70 ans du Rabbi. L’enthousiasme était a son comble lorsque nous avons su que le Rabbi ferait un Farbrenguen. Je suis resté à New York pendant quelques mois jusqu’au mois deTamouz, car ma sœur devait se marier à New York.

Je comptais quand même venir à Tichri, alors j’ai pensé qu’il serait plus logique que je reste à New York jusqu’aux fêtes de Tichri. Quand j’étais en Ye’hidout, c’était l’une des choses que j’ai demandée au Rabbi dans ma lettre. Mais le Rabbi m’a dit que c’était la direction de la Yechiva qui devait décider. J’ai demandé à la direction et ils m’ont dit que je devrais retourner à la Yechiva après le mariage. Je l’ai fait, puis je suis revenu pour Tichri.

Avez-vous reçu des lettres du Rabbi pendant vos années à la Yechiva à Brunoy?

J’ai appris à Brunoy jusqu’à 5735-1975, et les deux années suivantes, je suis resté en tant Chalia’h à la Yechiva, donc pour les deux dernières années quelques camarades et moi étions à Brunoy de 5735 à 5736 en tant que Chlou’him. Toutes les quelques semaines, nous envoyions un rapport détaillé chez le Rabbi de toutes les activités que nous faisions.

Au cours de l’été 5735-1975, l’un des Chlou’him, le Rav Yossef Its’hak Pevzner, montra un compte-rendu que nous allions envoyer au Rabbi au Rav Binyamin Gorodetsky,  le « ba koach » du Rabbi en Europe et en Afrique, qui dirigeait le « Lichka » à Paris. Quand il a vu le compte-rendu, il était très heureux de lire tout ce que nous faisions et il a proposé de le remettre personnellement au Rabbi. À partir de ce moment-là, chaque fois que nous envoyions un compte-rendu au Rabbi, nous recevions une réponse du Rabbi. C’était un grand ‘Hidouch, car jusqu’à l’intervention du Rav Binyamin Gorodetzki, nous avions reçu très peu de lettres pour notre groupe – en fait, le groupe des Chlou’him n’avait reçu que deux lettres – mais maintenant nous recevions une lettre après chacun de nos comptes-rendus.

Pouvez-vous partager quelque chose de spécial des lettres que le Rabbi vous a adressées pendant ces années?

À un moment donné au cours de notre Chli’hout à Brunoy, il y avait un Chabbaton en Suisse pour des étudiants juifs de toute l’Europe, et les Chlou’him de Brunoy ont été invités à venir parler aux étudiants et faire un Farbrenguen avec eux. Une des fois où nous avons parlé, nous avons répété une Si’ha, qui explique que, pendant la période des Grecs avant Hanouccah, outre les dures conditions physiques dans lesquelles les juifs vivaient, le niveau spirituel  était également mauvais, car, chez un juif, le matériel et le spirituel sont inextricablement liés.

À ce Chabbaton, il y avait un diplomate de l’ambassade d’Israël à Paris. Après le discours, il s’est approché de nous et nous a dit qu’il lui semble qu’un juif peut vivre matériellement une vie merveilleuse même s’il ne pratique pas le judaïsme. Donc, il semble ne pas être d’accord avec cet enseignement. Nous avons posé cette question dans les kovetz haoros sous son nom et le kovetz a été envoyé chez le Rabbi.

Dans la lettre suivante que nous avons reçue du Rabbi, le Rabbi a écrit à propos de cette question (paraphrasant): «Certainement, le comité de rédaction trouvera une réponse. basé sur ce qui est expliqué dans Iggeres Hateshuva perek 6 et Kuntres Umaayan perek 16. Dans ces sources, il est expliqué qu’il existe une différence entre l’époque du Beth Hamikdach – lorsque les juifs recevaient leur vitalité de la Kedoucha – et l’époque de l’exil où la Che’hina est elle aussi en exil. C’est la raison pour laquelle un juif peut également recevoir sa vitalité de la Klipa.

Le Rabbi envoyait-il une lettre à chacun des Chlou’him individuellement?

Pour Pessa’h, nous avions reçu chacun une lettre individuelle. Les autres fois, nous recevions une lettre pour nous tous. Nous faisions chacun une copie et faisions un tirage au sort pour recevoir l’original.

Il y a une autre chose intéressante dont je me souviens au sujet de ces lettres. À Pourim 5736, l’un des endroits où nous sommes allés faire Mivtsaim était le consulat et le bureau de sécurité israéliens à Paris. Avant de partir, nous avions décidé de prendre des photos des événements et de les envoyer au Rabbi avec le compte-rendu, bien que nous ne sachions pas comment le Rabbi réagirait à ces photos. Nous avons reçu cette réponse au compte-rendu : «J’ai reçu votre compte-rendu» – et le Rabbi a tracé une flèche sur sur la marge de la lettre et a écrit והתמונות – «et les photographies». Nous avons compris que le Rabbi avait apprécié notre initiative.

Etes-vous venu chez le Rabbi pendant ces années pour Tichri?

L’une des choses que nous avions faites en tant que Chlou’him l’été 5735, a été d’organiser un tank de Mivtsaim et nous voulions qu’il soit offert en cadeau au Rabbi. Nous avons demandé au Rabbi si nous pouvions offrir ce cadeau au Rabbi et le Rabbi a répondu que nous devions le présenter au Farbrenguen de Youd Beth Tamouz qui se préparait. Nous avons préparé une clé en or pour le tank et nous avions organisé un tirage au sort pour lequel l’un des Chlou’him devrait se rendre à New York pour offrir la clé au Rabbi. J’ai gagné au tirage au sort. Au Farbrenguen, après l’une des Si’hot, plusieurs personnes sont allées offrir diverses choses au Rabbi et j’ai donné la clé au Rabbi, après quoi le Rabbi m’a donné des bénédictions pour la Chli’hout.. La clé est allée plus tard à la bibliothèque du Rabbi. Il y a quelques années, j’étais à l’exposition de la bibliothèque du 770 et j’ai vu la clé que j’avais donnée au Rabbi.

Comment êtes-vous arrivé à New Haven?

C’était Pessa’h 5737, Rav Nissan Nemanov avait demandé à la direction du 770 d’envoyer un Roch Yechiva pour la Yechiva de Brunoy, et ils ont envoyé mon frère Rav Ye’hiel. Vers la fin de cette année, le Rav David Raskin et la direction du 770 m’ont appelé et ils m’ont dit qu’ils envoyaient un groupe de Ba’hourim à la Yechiva de New Haven et que, d’après ce qu’ils entendait sur mon frère à Brunoy, ils ont estimé que je serais surement apte à devenir Rosh Yechiva. Alors j’ai écrit au Rabbi, et le Rabbi m’a donné sa bénédiction, Donc au début de 5738, je suis allé à New Haven, et j’y suis depuis cette époque.

Les Chlou’him et moi sommes allés là-bas au début de du mois de Hechvan, peu de temps après que le Rabbi eut une crise cardiaque le jour de Chemini Atseret  Chabbat Parachat Noa’h, le Rabbi devait prier Cha’harit dans le petit zal à l’étage supérieur du 770 et seulement 20 ou 30 personnes étaient autorisées à participer au Minyan. Comme je devais me rendre a New Haven cette semaine-là, j’ai pu participer à la Tefilah avec le Rabbi ce Chabbat.

Avez- vous reçu des directives spécifiques concernant New Haven?

Avant de partir pour New Haven, le Rabbi m’avait donné beaucoup de bénédictions. Mais l’une des choses que le Rabbi a dit lors de l’établissement de la Yechiva était qu’il fallait toujours dire: «L’endroit est trop petit pour moi» – il devrait toujours être nécessaire d’agrandir le bâtiment de la Yechiva. C’est ainsi qu’après la première année, nous avons étendu le zal à une autre pièce et l’année suivante à une autre. Peu de temps après, nous avons commencé à louer le site Young Israel shul à proximité et nous avons finalement acheté ce bâtiment. Depuis lors, nous avons acheté un campus entier. Nous pouvons vraiment voir comment les bénédictions du Rabbi se réalisent pleinement.