Maxi Librati est né le 5 février 1925 à Lyon, d’une famille de 16 enfants.

Arrêté le 4 juillet 1943 à Lyon dans le train par les SS, transféré à Drancy. Part le 2 septembre 1943 pour Auschwitz dans le convoi  numéro 59. Il porte le numéro 145922. En janvier 1944, il contracte le typhus. Il fait la marche de la mort en juillet 44. Le 4 août, il arrive Dachau. Il est délivré par les Américains, il revient en France le 22 mai 1945 et pèse 29 Kgs.

Quand vous êtes vous senti libre ?
Je me suis toujours senti libre. J’attendais. Je savais que je serai libéré. Pas un seul instant,  je me suis inquiété.  Quand  j’étais à Drancy,  un homme a dit en voyant les lignes de ma main «  Vous avez de la chance, vous allez faire un long voyage, mais vous allez revenir ». J’avais 18 ans et  cette phrase est toujours restée en moi.

La première année de retour qu’avez-vous fait ?
La première chose que j’ai faite fut de penser à mes parents. Où sont mes parents ? J’ai attendu au Lutétia mais je n’avais pas de nouvelles. Il a fallu que je rentre à Lyon, mes parents étaient là. Ils n’habitaient pas à la même adresse rue Anatole France, mais quel  bonheur de me revoir, ils n’avaient pas perdu espoir.

Je n’ai pas continué le métier que j ‘avais appris : serrurier-forgeron.  Je n’en avais plus l’envie, ce métier ne me convenait pas. Et je ne voulais surtout plus avoir les mains sales.

J’ai décidé de m’occuper de vêtements, une famille les KIMMEL qui m’avaient pris comme filleul de guerre, avaient une boutique au coin de la rue Réaumur. Une maison de textile. Et  j’ai commencé à travailler comme vendeur de tissu pendant 2 à 3 ans. J’avais des  méthodes de vente originales : le troisième mètre était gratuit par exemple.

En tant que représentant de tissu,  j’ai rencontré une personne Liliane et sa sœur Colette. Liliane est devenue mon épouse en octobre 1955, j’avais 30 ans et notre fille Patricia est née en juillet1956.

Puis j’ai quitté la maison  dans laquelle je travaillais et me suis installé chez mes beaux parents EDELSZTEJN rue d’Aboukir comme vendeur de prêt à porter féminin. Puis un jour j’ai voulu mon indépendance,  j’ai acheté la boutique d’en face, c’était en 1963, et je venais de divorcer.

Quelle est la phrase, le mot, la musique, la couleur, la personne qui vous a fait tenir dans toutes vos épreuves ?
Surtout la chance. La chance d’avoir rencontré Madame KIMMEL qui m’a appris mon métier. Oui mais surtout la chance de vivre, d’être vivant, d’être là encore aujourd’hui. La chance d’avoir  eu de tels parents, ils étaient exceptionnels : mon père était un simple manœuvre, un ouvrier qui travaillait à Saint Fons. il avait beaucoup de respect de la famille. Mes parents étaient sacrés.

La chance aussi d’avoir eu des protections, comme des rabbins vénérés par ma famille qui venaient du Maroc, de Taroudant et Marrakech.

J’ai pu connaitre PINHAS COHEN entre 1954 et 1956, il avait dit à mes parents  lorsque je suis parti que je reviendrai des camps. Ce rabbin était respecté autant par les juifs que par les musulmans, il était auréolé d’une grande spiritualité.

Et la souffrance ?
J’ai toujours pensé que cela allait s’arranger, que ce que je vivais allait passer comme cela était venu. Je ne me faisais aucun souci, j’avais confiance en mon étoile.

Comment considérez-vous votre vie aujourd’hui ?
La plus belle des choses dans la vie c’est la santé. Il faut être en bonne santé. Je ne suis pas matérialiste, la santé c’est l’essentiel. Ma vie ? C’est une vie comme tant d’autres  je suis croyant chacun a son destin. Je ne changerai rien de ce que j’ai vécu, même pas les camps. Les camps s’était un passage dans la vie. J’ai eu la chance d’échapper à la mort. Je n’ai aucun regret. Si je devais refaire ma vie je la referais de la même façon. Je n’ai jamais eu de cauchemars,  je dors bien et j’aurai un jour 120 ans, car il suffit de le vouloir pour les avoir.

Mais pourtant, vous avez fait la marche de la mort ?
Oui. Mais je savais qu’il fallait toujours être devant, jamais derrière. Car devant  tu gères. Ceux qui étaient derrière, les SS les descendaient. Et quand on est devant on mène le rythme.
J’ai aujourd’hui 2 enfants, 3 petits-enfants et même un arrière petit enfant. C’est cela ma chance.

Le mot amour intervient-il dans votre vie ?
Oui, j’aime mes frères, mes sœurs, ma famille. Mais j’ai aimé aussi travailler. J’étais toujours au travail. J’adorais ce monde. J’ai crée « La Gaminerie », et j’ai même eu des boutiques en franchise dans le monde entier. J’aime la création. On a envie d’aller de l’avant, de connaitre…

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avec son fils Thierry

L’Art est-iimportant pour vous ?
Oui, si  je vois un tableau qui me plait je l’achète je ne revends jamais, je garde ce que j’achète. Il fait partie de ma vie, de mon entourage.

Et Israël ?
Je n’ai jamais eu envie d’aller m’installer en Israël bien que j’y ai séjourné à de très nombreuses reprises tout autant pour mon travail que pour le plaisir. Je suis lyonnais de parents d’origine du Maroc, venus en France en 14-18. Je suis né à Lyon dans le 2ème arrondissement, le 5 février 1925.

Quel est le message que vous voulez transmettre aux jeunes ?
Soyez en bonne santé, c’est le plus beau cadeau que l’on puisse recevoir.

 

Voici le texte de la lettre que Maxi Librati a envoyée de Drancy à ses parents à Lyon, telle qu’il la lit dans son témoignage (nous l’avons retranscrite). Après l’avoir reçue, ses parents écriront candidement au maréchal Pétain pour demander la libération de Maxi. Mais celui-ci est déjà déporté à Birkenau.

Paris, le 31 août 1943

Chers parents, frères, et sœurs,

Je vous écris cette lettre pour vous donner de mes nouvelles. Nous avons tous été convoqués pour être déportés quelque part en France, ou à la frontière allemande. Nous sommes trois camarades qui ne nous séparons pas. Nous avons un très bon moral. Surtout, ne vous faites pas de mauvais sang pour moi, car vous pouvez, je vous assure, avoir confiance en votre fils Mardoché [NDLR : prénom hébraïque de Maxi]. Je travaillerai, puisque j’en suis capable. Vous n’avez pas à vous inquiéter sur mon sort, car, comme vous le savez, nous mangeons très bien, et nous avons été habillés complètement.

Je vois Françoise, Sol, Mariette, et Marcelle, qui ainsi partent avec moi. Elles ont versé quelques larmes, mais avec moi ; je leur remonte le moral.

Je vous écris cette lettre en vitesse, car je n’ai guère le temps. Nous avons un très très bon moral, et malgré ce départ nous sommes très joyeux tous les trois, puisque nous vous savons en sécurité.

On dit que les voyages forment la jeunesse, alors ne vous faites pas de mauvais sang. N’importe où nous allons, nous serons traités comme il faut, si nous avons la volonté de travailler.

Vous, chers frères et sœurs, je pense à vous, et je remercie Dieu de vous savoir près de mon père et de ma chère maman. Ne vous laissez pas abattre. Prenez la vie comme elle vient, car vous pouvez avoir confiance en votre fils, qui lui a un très bon moral, se porte mieux que jamais, et est encore jeune, avec beaucoup d’espoir de vous revoir bientôt, plus tôt que vous ne le pensez.

Maman chérie, je comprends ta peine, avec celle de Papa. Mais que voulez-vous, c’est la vie. Je me suis débrouillé à vous écrire. Ne vous en faites pas ; chaque fois que je pourrai, je tâcherai de vous écrire. Surtout, ne vous faites pas de mauvais sang si vous ne recevez pas de mes nouvelles. J’espère, chers parents, que vous vous portez bien, ainsi que mes frères et sœurs. Je voudrais que vous puissiez me voir, comme j’ai grossi et bronzé.

Maman chérie, j’espère que ma lettre te trouvera en parfaite santé, avec un bon moral, si tu ne veux pas être fatiguée. Passe le bonjour aux camarades et amis. Embrassez bien mon oncle et ma tante Marcelle, que j’aime beaucoup, ainsi que ses enfants, la Perlette, M. et Mme Bounan, Nina, son mari et sa famille, enfin tous ceux qui demandent après moi, Schneider, Amiral, particulièrement la famille Christo, qui me rend un grand service, mon chef, directeur, et camarade.

Je vous demande encore une fois, très chers Papa, Maman, frères et sœurs, de ne pas vous en faire. Je vous en supplie. Pensez à vous, je me débrouillerai de mon côté.Ne m’envoyez pas de réponse.

Nous autres les célibataires sommes tous ensemble. Il en arrive presque tous les jours de Paris. La plupart sont de là. Je n’ai plus rien à vous dire pour le moment.

Je suis content, très content, de vous savoir en sécurité.

Un petit voyage, je vous assure, chers parents, cela ne nous fera pas de mal, puisque nous allons voir du pays et que quand nous serons réunis, je pourrai vous raconter mon histoire, qui commence à être belle, pleine d’imprévu, de courage, et de volonté.

Ici, dans le camp, on achève les préparatifs pour mille personnes. Le départ est proche. J’ai avec moi deux couvertures très chaudes, ainsi que deux gros pull-overs, du linge de camp, trois chemises, trois paires de chaussures, deux maillots de corps, un béret, un blouson, un manteau, une paire de chaussons, des galoches, des brodequins, une paire de pantoufles. Il ne me manque donc rien.

Pour nous, c’est la grande aventure qui continue, et nous nous engageons joyeusement. Aussi, ne nous en faisons pas !

Je termine ma lettre, cher papa, chère maman, en vous embrassant du plus profond de mon cœur, ainsi que mes petits frères Marcel, Elie, Roger, Aymé, etc., ainsi que mes petites sœurs Rachel, Messodie, Paulette, Alice, Marie, Lisette, et Antoinette. Toutes mes pensées sont à vous,
Celui qui pense à vous, et pour la vie,

Mardoché.

P.S. : Encore une fois, ne vous inquiétez pas pour moi, pensez d’abord à vous, à mes frères et sœurs. Maintenant que je suis endurci, je suis un homme, vous pouvez me croire. Je prends la vie du bon côté. Je vous embrasse encore tous. De gros baisers à toi, cher Papa, ainsi qu’à toi, Maman chérie. Que ma lettre te trouve en bonne santé, et avec une grande confiance en l’avenir et en ton fils chéri. Gros baisers à tous, à tous les enfants, et à bientôt. La Marcelle, la Mariette, la Françoise, la Sol, la Sarah, adressent de gros baisers à leurs familles. Ayez tous beaucoup d’espoir.