Un anniversaire est toujours une occasion solennelle. Mais il est d’abord le repère qui permet de mesurer les progrès réalisés pendant la période écoulée. C’est ainsi que sa célébration fait sens : elle permet de prendre conscience et, ainsi, de rassembler ses forces pour un départ recommencé.
Cette semaine, le 11 Nissan est l’anniversaire de la naissance de Rabbi Menahem Mendel Schneerson, celui qui, pour tant de Juifs autour du monde, reste, tout simplement, « le Rabbi ». Un tel jour est, en soi, significatif. Par tout ce qui souligne l’importance de l’idée d’anniversaire, il porte clairement à conséquences. Nos Sages nous l’enseignent : c’est le moment où « sa puissance spirituelle est dominante ». C’est dire qu’il convient de s’y arrêter et d’y réfléchir un instant. De fait, que d’actions entreprises, que d’accomplissements nouveaux, que de lien avec D.ieu renforcé par l’étude de la Torah et la pratique de ses commandements en cette année ! A toute réussite, il existe une source et à toute œuvre une âme. Sans se tromper, chacun sait profondément que c’est dans le Rabbi et son enseignement qu’ici on les trouve.
Il est vrai que, au fil des décennies écoulées, le monde a changé. Alors que les frontières se sont souvent peu à peu effacées, que les moyens de communication ont réduit les distances d’une façon inimaginable il y a peu, que l’homme, ivre de puissance, a tendance à oublier ses faiblesses, voici que le peuple juif revient, avec obstination, à l’héritage millénaire transmis par ses ancêtres. Ouvert au monde, voici qu’il retrouve ces chemins-là qui, venus du passé, garantissent pourtant l’avenir. Et chacun de s’interroger : comment a commencé cette renaissance ? Où en a été le moteur ? Qui en préserve la puissance ? Alors que le 11 Nissan éclaire l’horizon de cette force particulière qu’a l’anniversaire du Rabbi, nous percevons la réponse. Une sagesse, un souci de chaque instant n’ont pas cessé de porter ce ressourcement. C’est à cette cause libératrice que le Rabbi s’est consacré.
Et ce n’est pas un hasard – mais quand l’est-ce ? – si ce jour tombe naturellement à proximité de la fête de Pessah. Pourrait-il y avoir meilleure préparation au « temps de notre liberté » que ce jour qui nous rappelle que la liberté est, à la fois, un don et une conquête, comme une force en mouvement dont l’effet ne s’arrêtera qu’avec la Libération majeure, celle qu’apportera Machiakh.
Rabbi Menahem Mendel Schneerson est né le 18 avril 1902 (11 Nissan 5662) à Nicolaïev, en Ukraine, au foyer de Rav Levi Yits’hak et de la Rebbetzin Chana Schneerson. Son grand-père maternel est le Rav Meïr Chlomo Yanovsky, le rabbin de Nicolaïev.
Egalement connu par ses fidèles comme le Rebbe ou le Rabbi de Loubavitch, est le septième héritier de la dynastie du Hassidisme HaBaD fondée en 1797 par Rabbi Schnéour Zalman de Lyadi. Il fut un des leaders spirituels du judaïsme mondial et notamment de la mouvance loubavitch depuis 1950 à la suite du décès de son beau-père Rabbi Joseph Isaac Schneersohn. Il a notamment encouragé et agi pour la diffusion du judaïsme et la fondation d’un réseau d’institutions d’études juives et de l’enseignement de la Torah. Le Rabbi de Loubavitch n’a pas eu d’enfants mais a légué depuis son décès en 1994, plus de 5000 institutions à travers le monde.
Il porte le même patronyme que Rabbi Yossef Its’hak Schneersohn, son futur beau-père auquel il succèdera du fait que tous deux descendent, à travers deux lignées différentes, de Rabbi Menahem Mendel, troisième de la lignée, le célèbre Tsemah Tsedek.
Il passe sa jeunesse à Iékatérinoslav (rebaptisée Dniepropetrovsk par les Bolchéviks) dont son père, Rav Levi Yits’hak, est le rabbin.
Rav Levi Yits’hak est un maître inspiré de la Kabbale, qui explore le Zohar et le Talmud. Contre toute attente, le futur Rabbi de Loubavitch ne fréquente pas de yéshiva (école talmudique). En dehors d’un premier maître avec lequel il fait ses premiers pas dans les textes — et auquel il voue une éternelle déférence —, son père est son unique précepteur.
Rav Levi Yits’hak prescrit à son fils un cursus drastique d’études quotidiennes allouées à la Torah et lui accorde les heures qui restent pour s’alimenter, dormir et pour les études profanes avec différents professeurs de la ville. L’enfant accumule les lectures, dévore des dictionnaires de langues, tout en passant le plus clair de son temps à étudier les ouvrages dont il devra un jour assurer l’héritage. Sa mère se plaît à vanter ses capacités d’absorption — celles qui lui permettront, le moment venu, de dicter la réponse à une lettre en en lisant trois autres. On sait également qu’il ne prise guère les distractions de son âge et que les livres sont déjà sa patrie.
Pour les qualités humaines, sa mère relate tardivement qu’il sauta à l’âge de dix ans dans le Dniepr gelé pour sauver un enfant qui se noyait et qu’il manque d’être emporté par le typhus, contracté lors d’une épidémie après s’être porté secouriste volontaire. Le jeune homme s’intéresse à tout, c’est-à-dire à tous les déploiements intellectuels dont il fera plus tard usage pour « valoriser le Créateur et la profession de foi rédemptrice de la Torah ». Il s’inscrit en candidat libre dans divers établissements et y obtient des diplômes.
Au moment où il rencontre Rabbi Yossef Yits’hak en 1923, à Rostov, il est quasiment inconnu de la communauté hassidique qui campe autour du maître. Elle est même un peu surprise par ce jeune homme de vingt et un ans, impeccablement mis et aux manières raffinées, d’autant plus que l’on saura vite que le sémillant jeune homme est destiné à épouser la dernière des filles du Rabbi : Chaya Mushka Schneerson. Le Rabbi rassure ses disciples en attestant que ce jeune homme un peu suspect sait mot à mot les deux Talmud et les grands décisionnaires, et que les larmes qu’il verse lors du Tikoun ‘hatsot — ces lamentations que les très pieux récitent quotidiennement à minuit — sont indicibles.
En 1927, le régime de Staline commence à réprimer les institutions religieuses et Rabbi Yossef Yits’hak, qui ne laisse planer nulle équivoque sur le mépris qu’il voue à ce régime et du peu de cas qu’il fait de son règlement, est arrêté. La sentence de mort prononcée contre lui est commuée en exil et durant l’été suivant, il doit quitter la patrie du ‘hassidisme pour Riga où il établira six ans durant son « gouvernement en exil». Il emmène sa famille, ses proches disciples et son futur gendre.
Le 27 novembre 1928 à Varsovie, Rabbi Menahem Mendel épouse la fille de Rabbi Yossef Yits’hak, la Rebbetzin Chaya Mushka Schneerson. Ce mariage est célébré dans la capitale polonaise, haut lieu du judaïsme d’Europe centrale. Des sommités rabbiniques, dont le lieu foisonnait à l’époque, eurent alors l’occasion de mesurer la texture intellectuelle de cet homme apparu ganté de blanc qui leur fournit une matière édifiante.
Le nouveau couple part ensuite s’installer à Berlin où le futur Rabbi fréquentera l’université, et un grand nombre d’intellectuels juifs (il se souviendra par la suite d’y avoir vu Albert Einstein jouer du violon).
En 1933, la montée au pouvoir du nazisme les fait quitter Berlin pour Paris. Là, il fréquentera la Sorbonne et d’autres établissements de l’enseignement supérieur tout en revivifiant l’esprit des nombreux réfugiés que la tourmente commence à déverser dans la ville des lumières. Il assure aussi un cours quotidien à l’oratoire du 17 rue des Rosiers.
Ceux qui fréquentent le couple, qui habite à quelques pas de la station Mouton-Duvernet, attesteront que l’ouverture de cet homme aux êtres et aux idées cohabite avec une piété méticuleuse. De son séjour dans la capitale française, le Rabbi gardera toute sa vie un attachement particulier au judaïsme français, dont l’histoire par la suite le lui rendra bien. Au point même que lors d’un mémorable Sim’hat Torah en 1974 à New York, auquel assistaient quelque cinq cents Français, il fit danser les Français sur l’air de la Marseillaise qu’il entonna sur les paroles d’un cantique à la gloire de Dieu, récité le Chabbath et les jours de fêtes à la synagogue.
Suite à l’invasion de la France en 1940, il quitte Paris pour la zone libre. Son périple le conduit à Vichy puis à Nice. Certains témoignages attestent qu’il y aura des liens avec la résistance locale, et qu’il emmènera même des jeunes en montagne la nuit pour confectionner des Matsot à l’approche de Pessa’h.
Entretemps, en Russie, son père exaspère les Bolcheviks en refusant de jouer leur jeu. Une nuit précédant la fête de Pessa’h 1939, le NKVD fait irruption chez lui et l’emmène. Après avoir transité de prison en prison, il est envoyé en exil dans un cloaque du Kazakhstan où il décède le 9 août (20 Av) 1944 dans un état de déchéance physique. C’est là-bas qu’avec de l’encre confectionnée par son épouse – laquelle l’aura rejoint entre temps – il écrira ses commentaires kabbalistiques du Zohar, sur les marges des quelques livres qu’il aura pu emporter. Son fils les publiera par la suite et les commentera abondamment.
En mai 1941, le Rabbi et son épouse embarquent à Marseille pour Barcelone. Peu après, ils embarqueront à Lisbonne pour accoster à New York le 23 juin 1941. Son beau-père s’y trouve depuis mars 1940 après avoir échappé d’une façon aussi rocambolesque que miraculeuse à l’anéantissement des Juifs de Varsovie.
Rabbi Menahem Schneerson, qui arrive à New York, est aussi méconnu de la colonie Loubavitch américaine qu’il l’était de l’entourage de son beau-père en Russie. Dans un premier temps, il se consacre exclusivement à la maison d’édition fondée par son beau-père et qui s’est donné pour tâche de publier l’immense patrimoine accumulé depuis deux siècles.
Mais la santé de son beau-père décline et il est appelé à le remplacer pour célébrer les Farbrenguen, ces réunions ‘hassidiques au cours desquelles les interventions du Rabbi alternent avec les chants. C’est ici que l’on va découvrir la trempe de cet intellectuel que son beau-père appelle « mon ministre de la culture ». Dans ses interventions, il fait sauter les clivages qui cloisonnent apparemment les diverses disciplines du savoir accumulé par la tradition juive. Le pilpoul talmudique est soudain chamarré de Kabbale, le sens littéral devient écarlate quand la sève du Hassidisme HaBaD les irrigue et les irradie. Cet homme qui n’a pas cinquante ans fait boire, danser, exulter et réfléchir des doctes qui ont parfois deux fois son âge et qui n’aperçoivent rien de semblable dans leur expérience passée.
Au printemps 1947, il fait son ultime voyage à l’étranger en revenant à Paris accueillir sa mère qui à réussi à quitter l’Union soviétique. Il ne quittera plus jamais son fief de Crown Heights à Brooklyn.
Le 17 janvier 1951, Rabbi Menahem Mendel Schneerson reprend le siège laissé vacant par la Histalkout (décès) de son beau-père un an auparavant et devient le septième Rabbi de Loubavitch. Il abat très vite ses cartes et sa profession de foi se résume en un mot : « Oufaratsta » (voir verset biblique Genèse 28,14 : « Ta descendance sera (innombrable) comme la poussière de la terre; Et tu t’étendras (« oufaratsta ») à l’ouest, à l’est, au nord et au sud » ), la « diffusion de la Torah et de ses valeurs vers tous les horizons juifs qu’elles n’ont pas encore atteints ». C’est le saut à corps perdu dans cette entreprise qui attestera du véritable attachement de ses hassidim à son enseignement. Les farbrenguen qu’il célèbre – lesquels peuvent parfois durer huit heures et plus, et durant lesquels il discourt sans notes – exaltent jusqu’à ceux qui n’entendent pas un mot à son yiddish talmudique et didactique.
Dans ce foisonnement d’enseignements, une profession de foi générique : le refus de relativiser le moindre aspect d’une Torah divine, servi par un désir effréné d’asseoir chaque enseignement dans le monde du concret. Le déploiement in extenso de toutes ses interventions approche la centaine de volumes. Il discourt et chante, mais écrit aussi, et à tous. Aux rabbins, aux hommes d’État, à des artistes, des écrivains – Élie Wiesel compte parmi ceux dont il a marqué l’esprit – à des enfants et à tous ceux qui recherchent son conseil. Quelque trente volumes de sa correspondance ont été publiés.
Il reçoit aussi beaucoup. Pendant plus de trois décennies, il donnera à raison de deux nuits par semaine des audiences privées lors desquelles, durant parfois un tour de cadran, il écoute et conseille ceux qui auront sollicité une entrevue. Il intercède aussi pour ceux qui lui en font la demande. II passe régulièrement des heures, à jeûn, et parfois sous un soleil de plomb à lire, sur la sépulture de son beau-père, les demandes de bénédictions qui affluent tous les jours à son secrétariat.